Tony Allen l’originalité avant tout

Dernière actualité pour cet artiste hors pair, la sortie d’un album posthume Blue Note Records le 7 mai 2021 « There Is No End ». Un album posthume du légendaire batteur Afrobeat Tony Allen, décédé le 30 avril 2020 à l’âge de 79 ans. Album terriblement vivant et vibrant de ce musicien qui aura parcouru tant de projets aussi originaux qu’intéressants. “Tony avait la même ouverture d’esprit que certains musiciens de jazz, comme Herbie Hancock ou Miles Davis. Il voulait toujours innover, apprendre. Par ailleurs, il avait une philosophie de vie très saine, à rebours des mondanités. Il n’accordait aucune importance à ce que représentaient les gens. Que l’on soit connu ou pas connu, riche ou pauvre, noir ou blanc : il s’en moquait. Il avait une forme de pureté qui s’entend dans son jeu de batterie. Quand il accordait sa confiance, il était très généreux, fidèle et encourageant. C’était vraiment très agréable de travailler avec lui.” ( Vincent Taeger, musicien ayant joué sur l’album « Film of life »). Ici un concert live « Tribute to Art Blakey Jazz Messengers » à « La maison des arts de Créteil » le 19 février 2016 (1- Invitation 0:51?min. 2- Are you Real 13:52?min. 3- Politely 23:35?min. 4- Night in Tunisia 35:56?min. 5- Moanin 46:20?min. 6- Drum Thunder suite 56:55?min. BasH!! & Tony Allen Drums; JeanPhi Dary piano,Rhodes; Mathias Allamane upright Bass ; Jowee Omicil alto, soprano saxes)

Il a inventé avec le grand Fela l’afrobeat. Après 36 albums en commun il a quitté le chanteur charismatique devenu trop radicalisé sans doute mais surtout pour explorer d’autres horizons « Quand j’ai arrêté de jouer avec Fela et que je suis parti en Europe, d’abord à Londres, on m’a demandé de faire une musique formatée, robotique, qui suivait la mode ou qui répétait ce que j’avais déjà réalisé. C’est quelque chose que je n’ai pas supporté. Pendant plus de quinze ans, je n’ai presque plus rien enregistré. »… Ici un live de Fela à Berlin 1970

Bien sur Tony Allen s’intéresse à toutes les musiques mais pas à celle qui agite aujourd’hui les dancefloors de son pays d’origine. « P-Square ? Wizkid ? Davido ? Ce n’est pas de la musique, c’est du business, du divertissement. Il n’y a aucune créativité dans ce qu’ils font : ils suivent seulement une tendance et copient les sons américains. Ils seront toujours un cran en dessous. C’est pour ça que, personnellement, je n’ai pas voulu faire une carrière de jazzman, je savais que la copie serait toujours moins bonne que l’original. Ce qui m’énerve le plus, c’est qu’ils se collent l’étiquette  » afrobeat ». Pour moi, ça n’a aucun lien avec ce que nous avons fait. »

« Jazz is jazz, that’s it » (Le jazz est le jazz, c’est tout). Cela dépend de qui en parle, de quel instrument il joue. C’est cela la force du jazz. Moi, je suis un batteur, j’ai donc ma propre définition. Le problème est que cela s’uniformise, car tous les musiciens contemporains de jazz sont passés par les mêmes écoles de musique. Cette formation les limite, ils sonnent tous de la même façon, vont tous dans la même direction. Peu jouent différemment. Ceux-là ont alors en commun d’avoir voyagé de par le monde et donc dans leur musique, alliant ainsi diverses influences. »
« J’aime explorer les choses. Je m’ennuie vite si je fais la même chose, en répétition. Et si je m’ennuie, j’ai besoin de chercher. Quand je travaille un album, je compose sans cesse, avec une seule idée. Ne pas répéter ce que j’ai fait ou ce que d’autres ont fait. Ce doit être quelque chose qui sonne différemment. La première chose que je compose, ce sont les partitions pour ma batterie, c’est la structure de tout. ». Mais alors comment avec une carrière aussi longue ne pas se répéter .. « C’est ma batterie qui me le dit. Elle me dit que j’ai créé un nouveau chemin où je n’étais jamais allé auparavant. Je joue de la batterie de la même façon que je suis dans la vie. Avec simplicité. Ma batterie est comme un être humain. Je m’adapte à la façon dont elle me répond. C’est un dialogue aussi. Elle reprend ce que je voulais lui dire. Je ne frappe pas ma batterie, je la caresse. Car je veux qu’elle chante. Tout mon groove est comme un chant, ce n’est pas un tam-tam et du bruit ». Cette simplicité dans sa musique constamment recherchée.. Tony Allen se souvient avoir dit très à Fela Kuti :  » Keep it simple ». « Ce conseil de simplicité, je l’avais donné à Fela Kuti quand nous jouions aux États-Unis. Il faut ralentir les choses et l’afrobeat devenait trop compliqué, je lui ai dit de revenir à l’essentiel. De toute façon, je préférais l’acronyme KIS (keep it simple), au mot afrobeat. Je ne sais pas ce qu’est l’afrobeat. Il fallait lui trouver un nom, c’est tout. On a pensé à « alike Jazz », mais cela ne semblait pas bon comme nom. Puis est venu ce nom, afrobeat, en référence à l’afro-rock, afro-funk. Mais il y avait trop d’afro ceci, afro cela. Au final, ce n’est qu’un nom. Le nom ne fait pas la musique. »

Un musicien largement influencé par Art Blakey. Art avait coutume de dire « Black is beautiful ». Cette idée que revendique aussi Tony Allen « la musique africaine est au-delà du langage parlé. La musique est en soi une forme de langage : les percussions par exemple disent quelque chose, il faut les écouter attentivement. Je parle sans ouvrir ma bouche avec ma batterie. C’est peut-être cela la caractéristique de la musique africaine. Art Blakey savait qu’il venait de là. Il faisait du jazz à sa façon. Il avait voyagé et était allé vivre avec des gens qui jouaient de façon non académique de la batterie, des percussions. Il était allé au Nigeria, au Ghana. Il a pu revenir aux États-Unis et montrer en quoi sa façon de jouer était différente. »

Et finalement pour conclure « je recherche la lenteur et la légèreté en toute chose. C’est pour cela que ma musique est vivante, elle est construite et simple à la fois. La lourdeur que l’on met dans une chose la rend pesante. C’est la même chose pour les problèmes : plus on les considère comme graves, plus ils le seront. C’est ma philosophie de vie. »